C’est en 2011 que je voyageais pour la première fois au Panama. J’avais été accréditée par le festival de jazz de Danilo Perez, que j’ai couvert pour un magazine américain ainsi qu’une agence de presse française. Tonica, la Fondation de Danilo Perez, le grand pianiste panaméen à l’origine du festival, avait également invité de jeunes musiciens mexicains; l’un d’eux était le saxophoniste Gerry Lopez. Lopez n’avait pas peur: pas peur de se dépasser, et, plus tard, il n’a pas eu peur d’aller vivre à Paris, d’aller y étudier la musique, puis de devenir l’un des saxophonistes de latin jazz les plus en vogue de sa génération.
Lopez vient de sortir son cinquième album, intitulé “No Way Back”. Il s’agit d’un hommage à certains des plus grands musiciens du Mexique natal de l’artiste, mais aussi de Cuba, ainsi qu’une célébration de la décennie que Lopez vient de passer en Europe.
Et comme le titre de l’album l’indique, sur la route du succès, il n’y a pas de retour en arrière: on continue d’aller de l’avant. “Pour moi cet album représente beaucoup de choses,” explique l’artiste. Vivre dix ans en Europe “a complètement changé mon parcours, la direction de ma vie,” explique l’artiste. “J’ai changé de culture, de continent, de pays, de langue, d’influences….et je voulais revenir un peu en arrière.” “No Way Back” lie les diverses influences et découvertes musicales de l’artiste. Mais il s’agit également de rappeler que “parfois dans la vie quand tu prends une décision, tu ne peux pas revenir en arrière”, explique Lopez. “Cette décision peut changer beaucoup de choses”, ajoute l’artiste. “Mais il faut assumer. C’est ça qui représente le titre de l’album.”
Lopez, qui a gagné le concours national de jazz de la Défense en France avec son second album intitulé “For Trio”, continue à créer et se définir comme musicien aux origines bien spécifiques: cubaines et mexicaines. En rendant hommage aux racines culturelles et musicales de l’artiste, “No Way Back” mélange musique mexicaine et musique cubaine, deux musiques si riches, si fondamentales pour le blues, le jazz, et toute l’Amérique latine. Et “il y a beaucoup de musique cubaine dans la musique mexicaine”, explique Lopez. “On a beaucoup de choses en commun musicalement. Perez Prado a développé sa carrière au Mexique, Osvaldo Farrés, le compositeur de ‘Toda Una Vida,’ également. Il y a eu une période où nous avions vraiment une très grande connexion entre les deux pays, donc ça a créé un moment assez particulier.” Lopez évoque ce qui s’est passé à Cuba dans les années 1950, notamment avec le style du boléro. “Nous les Mexicains avons développé notre propre façon de jouer, de composer et puis d'interpréter cette musique,” il explique.
“C’est assez poétique comme style. C’est un des premiers qui a développé ça à la mexicaine, c’est-à-dire avec la même basse harmonique et la même basse rythmique mais avec son propre style. C'était un compositeur remarquable.” Ce sont des grands de la musique, au Mexique, tels que Agustin Lara et Armando Manzanero, qui ont permis au style du boléro mexicain de se développer. Les chansons de boléro de Lara parlent de l’amour et de la nostalgie, explique Lopez. Puis il y a eu Consuelo Velasquez, la compositrice de “Besame Mucho. “Pour développer sa carrière, il fallait voyager au Mexique,” Lopez ajoute. “Il fallait être dans la ville de Mexico. Il y a eu aussi des compositeurs colombiens, vénézuéliens, chiliens… c'était là où ça se passait.”
En fin de compte, grâce à Armando Manzanero et Luis Demetrio, qui ont tous deux revisité la quasi-totalité du répertoire du boléro, “c’est devenu tellement la mode que tout le monde connaît le répertoire - toutes les nouvelles générations”, ajoute Lopez. Et c’est cet amour pour le boléro qui a poussé le saxophoniste à proposer à Alain Pérez, le grand chanteur et bassiste né dans le pays à l’origine de ce genre, de collaborer.
Les autres musiciens qui ont participé à l’enregistrement de “No Way Back” sont Horacio “El Negro” Hernández à la batterie, Rafael Paseiro à la basse électrique, Carlos Miyares au saxophone, Yuya Rodriguez aux percussions ainsi que Miguel Angel García “El Wiwi” au piano.
Lopez a composé trois des huit morceaux de l’album. L’une de ces compositions, “Paris Song”, est un hommage aux quatre années parisiennes du saxophoniste. “Ça reste une partie importante de mon parcours,” explique Lopez. En effet, Paris est la première ville du continent européen où Lopez, tout comme tant de musiciens de jazz venus des Etats-Unis, a fait ses preuves. Paris, longtemps la capitale du jazz en Europe, à l’image de New York ou de La Nouvelle Orléans aux Etats-Unis, a accueilli des grands noms américains, tels que Nina Simone, Joséphine Baker ou Thelonious Monk.
Une autre composition de l’album, “Jacaranda”, est inspirée du célèbre quartier Coyoacan, de la capitale mexicaine, où a vécu Frida Khalo. La fleur la “jacaranda” y est très présente au printemps.
La troisième composition originale, “A Trip One Way”, est remplie de fortes influences mexicaines, comme par exemple le “huapango”. Il s’agit d’un morceau mexicain, d’une fusion, mais “joué à la cubaine”, explique Lopez. C’est une “fusion d’un rythme mexicain mais interprété par des musiciens cubains.”
Lopez a également décidé de rendre hommage au très grand musicien mexicain Juan Gabriel avec le célèbre morceau intitulé “Te Siguo Amando”, qui signifie “Je t’aime encore”. “Cette chanson est très représentative de notre culture,” explique Lopez, qui a ajouté sa touche “latin jazz” au morceau. C’est aussi par son arrivée à la Havane, pour l’enregistrement de son nouvel album, que la chanson éponyme de l’album a été inspirée. “C'était la période Covid, donc il fallait faire une quarantaine,” explique Lopez. “Tu ne pouvais pas sortir.” C’était le 11 juillet 2021.
Mais Lopez a malgré tout pris le risque d’enregistrer l’album, et cet enregistrement s’est produit au studio d’enregistrement l’Abdala, à La Havane. C’est à l’Abdala qu’ont été enregistrés de grands artistes tels que Chucho Valdes, Ruben Blades, Havana de Primera, Los Van Van ou encore Alain Perez. Le studio fut créé par Silvio Rodriguez durant la présidence de Fidel Castro. Peut-être que ce lieu mythique a contribué à la création d’un album qui rend hommage au genre du boléro, et met en valeur le parcours d’un artiste de la diaspora mexicaine.
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